Publié le 26 juin 2023 Mis à jour le 10 juillet 2023
Henri Bouasse à la faculté des Sciences (1)
Henri Bouasse à la faculté des Sciences (1)



Apprentissage il y a eu, mais ces années ont été brèves. Il a cependant fait ses classes : professeur en classe de 6e au Lycée d’Agen pendant l’année scolaire 1891-92, puis quelques mois au lycée de Toulon. Devenu Docteur en Mathématiques, il est appelé en novembre 1892 à la Faculté des sciences de Toulouse comme Chargé de fonction de maître de conférences de Physique avant d’être nommé Maître de conférences l’année suivante. Il sera titulaire de la chaire de Physique le 11 février 1897 après avoir soutenu avec brio ses 2 thèses réglementaires pour obtenir le Doctorat es Physique le 8 janvier. Il restera à ce poste 40 ans, jusqu’à son départ à la retraite en 1937.
Il a été, en quelque sorte, un enseignant « total » : le secondaire, les cours de préparation à l’agrégation ou au Certificat de Physique, et la physique classique bien sûr. Toute la physique.

En 1901 les deux cours hebdomadaires concernent la thermodynamique, deux ans plus tard ce sera l’électricité, puis les propriétés des corps solides en 1907, l’optique en 1911, et retour aux corps solides en 1913 etc. Il donne aussi des « cours spéciaux », et même des cours publics le soir, en histoire des sciences les premières années ou un peu plus tard en physique appliquée. Il a donné par exemple un cours complémentaire d’électricité industrielle en 1904-1905, le lundi et le mercredi à « 8h1/4 du soir » en 20 leçons suivis par un public de 30 personnes composé de commis des postes, d’électriciens, de conducteurs des ponts- et chaussés, et même exceptionnellement de quelques anciens étudiants ou de collègues comme Joseph Gheuzi. A l’heure du départ à la retraite du maître, en 1937, cet élève un peu particulier, devenu recteur des Universités de Toulouse, prendra la plume pour saluer sur 2 colonnes en première page d’un quotidien local, ce professeur étonnant et détonnant qui commençait cette série de cours par 2 leçons consacrées à l’aimant : « les vingt leçons se sont déroulées avec une force de démonstration d’autant plus impressionnante que l’on assistait sur place à la confection d’appareils simples, mais combien convaincants pour fixer dans l’esprit des règles ou des principes essentiels ! ».

Ses étudiants sont certainement ceux qui ont eu la meilleure part de l’homme. Henri Marty, ingénieur qui a fait une longue et remarquable carrière chez EDF, a écrit un article publié dans les Mémoires de l’Académie des sciences en 1977, 50 ans plus tard, pour honorer la mémoire de « cet enseigneur » comme l’a écrit un journaliste. Et l’ancien disciple précise en introduction : « je considère que ce maître hors du commun m’a marqué, dans mon caractère, dans mes méthodes de travail, dans la manière d’aborder les connaissances scientifiques et techniques et dans ma volonté permanente d’en faire profiter les autres avec des efforts de bon sens les plus réfléchis ». Rien de moins !
Il se souvient ensuite des 2 cours magistraux de 4 heures chaque semaine, et des « colles » durant lesquelles un volontaire était « mis sur le gril » pendant deux heures sur une question de cours, et on lui faisait installer un appareil pour l'illustrer expérimentalement. Moment qui s’apparentait visiblement à « un supplice » voire à un sommet de l’angoisse.
Il n’oublie pas un autre fait révélateur : la porte du laboratoire de Bouasse était ouverte en permanence pour ses élèves. Les quelques témoignages retrouvés soulignent toujours l’accessibilité derrière une apparente brusquerie.
« C’était des conversations d’un merveilleux enrichissement avec ce maître d’une haute culture dépassant les limites de la physique pour se nourrir de toutes formes de connaissances littéraires, historiques, musicales ». Selon un autre, ses élèves « jouissaient du privilège du contact avec un esprit adouci de sagesse plutôt que gorgé de connaissances », « de l’échange stimulant avec une personnalité dont l'étendue de la culture était le fruit d'une large lecture générale projetée sur fond d'une vision concrète des hommes et des choses ».

Il avait une très haute opinion du travail d’enseignant, de la mission devrait-on dire. Quelques lignes écrites en 1920 s’en font l’écho : « Il est facile de faire un cours superficiel, d’énoncer successivement des propriétés de tous les corps, de débiter les lois et d’indiquer en quelques mots l’expérience qui les étaie. Il est infiniment plus difficile de prendre un mémoire, d’en montrer la beauté, de le situer dans son ambiance, d’expliquer comment et pourquoi il a réalisé un progrès ». S’il ne se fait aucune illusion sur le devenir de l’enseignement, il espère encore « qu’au moins ces méthodes soient appliquées aux futurs professeurs dans l’école chargée de former le personnel enseignant ». Et in fine, il a suivi cette doctrine énoncée en 1914 : « la liberté des commissions et des professeurs s’arrête devant l’intérêt des élèves », et peut-être en a-t-il retiré le seul profit que l’on retire du professorat selon lui : « un peu de modestie et de conscience ».

Bien sûr il a été un examinateur pendant de nombreuses années des examens du baccalauréat, examen qu’il a si lourdement et si souvent critiqué. Son œuvre écrite comprend aussi un volet pédagogique, avec plusieurs manuels de cours pour les élèves du secondaire, collège et lycée (collaboration avec Brizard), puis une série condensée en 6 volumes pour les candidats de l’agrégation et du Certificat. L’histoire retiendra quelques lignes écrites par Charles Fert, dont on connaît pourtant la mesure : « C’était un professeur incomparable. La clarté de son exposition, son grand bon sens, son esprit critique, l’étendue et la profondeur de ses connaissances, ont marqué ses élèves et impressionné tous ceux qui l’ont connu. »


Bibliographie :

Guide-gazette des étudiants de Toulouse, n°105, Echo des Facultés, 8 mars 1897.

Marty, Henri, Les préfaces des livres de Physique du professeur Henri Bouasse, Mémoires de l’Académie des sciences inscriptions et Belles lettres de Toulouse, 1978.