Publié le 11 février 2025 Mis à jour le 11 février 2025

Chaque année, la bactérie Pseudomonas aeruginosa est à l’origine de centaines de milliers de décès à travers le monde faisant d’elle l’une des cinq bactéries les plus mortelles. Sa résistance croissante aux antibiotiques la rend d’autant plus inquiétante. Pour la première fois, un mécanisme complexe d’antibiorésistance et de virulence a pu être décrit par une équipe de l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et de l’Université de Toulouse, réunie au sein de l’Institut de recherche en santé digestive (IRSD) de Toulouse. Cette découverte majeure offre de nouvelles perspectives pour développer des thérapies capables de réduire la menace que représentent ces bactéries infectieuses. L’étude a été publiée dans Journal of extracellular vesicles, le 22 janvier.

Pseudomonas aeruginosa représente une menace sanitaire majeure, notamment par son caractère opportuniste. Cette bactérie est particulièrement redoutable dans les unités de soins intensifs et chez les patients atteints de mucoviscidose, où elle peut déclencher des infections respiratoires sévères, qu'elles soient temporaires ou persistantes. Or, cette bactérie développe des stratégies lui permettant de survivre aux traitements antibiotiques, la rendant de plus en plus difficile à traiter. C’est précisément un de ces mécanismes d’antibiorésistance qui a été étudié par l’équipe du professeur Eric Oswald, de l’Université de Toulouse, praticien hospitalier au CHU de Toulouse. 

Chez certaines bactéries, comme P. aeruginosa, une protéine particulière, CprA, contribue à la résistance à la colistine – un antibiotique utilisé généralement en dernier recours – ainsi qu’aux peptides antimicrobiens, naturellement produits par notre corps pour combattre les infections. Elle est codée par le gène cprA, présent chez toutes les souches de P. aeruginosa et son expression est induite quand la bactérie est traitée avec la colistine.

« Quand il s’exprime, le gène cprA entraîne un phénomène redoutable », explique Eric Oswald, « il conduit à la production de vésicules provenant de la membrane externe de la bactérie. » Ces vésicules se présentent sous la forme de minuscules bulles projetées depuis la bactérie et qui agissent comme de véritables armes biologiques. Dans notre organisme, elles perturbent un processus essentiel de nettoyage des cellules endommagées et de destruction des agents infectieux : l’autophagie. En paralysant ce mécanisme, les vésicules permettent à la bactérie de mieux se protéger et de causer des infections plus graves. Elles entraînent aussi une réponse inflammatoire excessive, aggravant les dégâts causés par l’infection. 
 
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Légende - Observation au microscope électronique à transmission de vésicules émises par la bactérie Pseudomonas aeruginosa produisant CprA. Image obtenue par coloration négative. Crédit : Audrey Goman et Priscilla Branchu.

L’étude, fruit d’une collaboration de scientifiques français et japonais, révèle que la dangerosité de ces vésicules réside dans leur composition particulière. « L’expression du gène cprA va permettre à la bactérie de modifier les lipides de la membrane bactérienne, conférant aux vésicules qui en sont projetées des propriétés hautement toxiques », souligne le professeur de l’Université de Toulouse. Des expériences menées en laboratoire ont démontré que CprA est essentielle à la virulence de P. aeruginosa. Une version de la bactérie modifiée pour ne pas produire CprA s’est révélée bien moins agressive que la version normale, démontrant l’importance de cette protéine dans la capacité de la bactérie à causer des infections graves. 

Cette découverte prend également une dimension plus large, car des mécanismes similaires ont été observés par les chercheurs chez d’autres bactéries pathogènes. « Certaines souches très pathogènes de Escherichia coli produisent une protéine, HlyF avec les mêmes propriétés que CprA. » Des versions similaires de ces protéines ont également été trouvées lors de cette étude chez d'autres bactéries pathogènes comme Yersinia pestis (responsable de la peste) et Ralstonia solanacearum (responsable d’une maladie redoutable notamment pour la pomme de terre et la tomate).

Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques prometteuses pour lutter contre des bactéries pathogènes pour l’homme, mais aussi les animaux et les plantes. En identifiant cette nouvelle famille de facteurs de virulence chez cette famille de bactéries, dites Gram-négatives, Eric Oswald et ses collègues ont mis en lumière de potentielles cibles pour le développement de nouveaux traitements. Ces découvertes pourraient permettre de contourner les mécanismes de résistance en ciblant spécifiquement ces protéines, offrant ainsi de nouvelles solutions pour combattre les infections résistantes aux antibiotiques.

 
Référence :
Uncovering a new family of conserved virulence factors that promote the production of host-damaging outer membrane vesicles in gram-negative bacteria
Audrey Goman, Bérengère Ize, Katy Jeannot, Camille Pin, Delphine Payros, Cécile Goursat, Léa Ravon-Katossky, Kazunori Murase, Camille V. Chagneau, Hélène Revillet, Frédéric Taieb, Sophie Bleves, Laure David, Etienne Meunier, Priscilla Branchu, Eric Oswald
Journal of Extracellular Vesicles, janvier 2025

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