Publié le 1 juillet 2024–Mis à jour le 1 juillet 2024
Lancée le 3 mai dernier à bord d’une fusée Longue Marche 5 depuis le site de Wenchang, la sonde chinoise Chang’E 6 a effectué une mission sans encombre sur la face cachée de la Lune. Elle a maintenant rapporté sur Terre les premiers échantillons de cette région lunaire, au terme d’un voyage aller-retour de 53 jours. La mission a embarqué plusieurs charges utiles internationales dont l’instrument DORN (Detection of outgassing radon), premier instrument actif français déployé à la surface de la Lune.
L'instrument français DORN a été conçu et réalisé à l’IRAP, l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNES/CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier), sous maîtrise d’ouvrage CNES, en collaboration notamment avec le CNRS et avec l’Institut de Géologie et de Géophysique de l’Académie des Sciences Chinoise (IGG-CAS), qui a assuré la responsabilité de l’instrument après sa livraison en Chine, et qui a participé avec l'équipe française et avec une équipe de la China University of Geosciences Beiijng (CUGB) aux opérations de DORN à Pékin pendant la mission. Il a pour but d'étudier l'origine et la dynamique de la très fine atmosphère lunaire (l’exosphère), les propriétés thermiques et physiques du sol lunaire et le brassage de la poussière en surface. L’instrument doit aussi améliorer les mesures d'uranium réalisées par satellite, en effectuant les premières mesures de radon et de polonium, deux traceurs radioactifs, à la surface de la Lune.
L’instrument a été allumé pour la première fois le 6 mai pendant la phase de croisière vers la Lune, à une distance de 330 000 km de la Terre, pendant une durée de 10 heures. Le but de cette première mesure était de mesurer le bruit de fond de l'environnement spatial et une éventuelle contamination naturelle terrestre (les détecteurs étant restés exposés à la radioactivité atmosphérique terrestre pendant plusieurs mois).
Le 8 mai, à l’approche de la nouvelle Lune, Chang'E 6 a effectué avec succès son insertion en orbite lunaire sur une trajectoire elliptique, à partir de laquelle le Cubesat iCube-Qamar pakistanais a été éjecté avec succès, réalisant ses premières photos de la Lune. Cette insertion a été suivie d’une seconde manœuvre de freinage le 9 mai pour passer sur une orbite elliptique de plus courte période. C’est sur cette orbite que DORN a débuté le 17 mai ses mesures orbitales, quelques jours après le passage de la très forte tempête solaire des 10 et 11 mai. Ces mesures ont été prolongées les 18 et 19 mai, pour une durée totale de 32 heures, pendant lesquelles plusieurs commandes ont pu être envoyées à l’instrument pour contrôler le volume de données produites. Les quelques données renvoyées sur Terre à cette occasion ont permis d’établir que les 16 détecteurs de l’instrument fonctionnaient de façon nominale. DORN a ainsi pu acquérir des données sur les flux de particules chargées du vent solaire et suivre leur décroissance au cours du temps. L'effet d'écrantage de la Lune sur ces flux de particules a également pu être observé.
L'équipe DORN dans la salle de contrôle, avec un panorama de la Lune derrière, crédit : NAOC
Le 22 mai, Chang'E 6 est passée en orbite circulaire autour de la Lune. Dans la nuit du 23 mai, DORN a été rallumé pendant une durée de presque 5 jours (111 heures), de façon à réaliser des mesures orbitales de la distribution de radon et de polonium sur la Lune.
Alors que le soleil se levait sur le site d’atterrissage, les ingénieurs chinois ont amorcé les dernières manoeuvres orbitales le 28 mai, qui se sont achevées avec l’atterrissage parfaitement réussi de Chang’E 6 le 2 juin dans le sud du cratère Apollo, dans le bassin South Pole Aitken. Quelques heures après cette étape critique, et peu de temps après la collecte des premiers échantillons, DORN a pu commencer ses mesures à la surface de la Lune. Celles-ci se sont achevées avant les phases préparatoires au décollage du module de retour d’échantillons, qui a eu lieu le 4 juin à l’heure prévue. DORN, lui, a cessé sa mission et ne retournera pas sur Terre. Il est désormais un résident « éternel » de la face cachée de la Lune.
Pendant toute la durée de la mission, une équipe de scientifiques et d’ingénieurs français a pu participer aux opérations de DORN à Pékin, depuis le National Astronomical Observatory Center (NAOC), en collaboration avec la partie chinoise de l’équipe DORN, constituée de chercheurs, d'ingénieurs et d’étudiants de l’Institut de Géologie et de Géophysique de l’Académie des Sciences Chinoises (IGG-CAS), de la China University of Geosciences Beijing (CUGB) et de la China Academy of Aerospace Science and Innovation (CASI). Cette forte intégration des deux parties de l’équipe a permis le succès de cette expérience.
Démarré fin 2019, le projet DORN est l’objet de la première coopération entre la France et la Chine dans le domaine de l’exploration du système solaire, et le résultat d’une collaboration étroite et fructueuse entre l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP, CNRS/Université Toulouse III/CNES) et l’IGG-CAS, avec le soutien du CNES, du LESEC (Lunar Exploration and Space Engineering Center) de la CNSA, de la China Academy of Space Technology (CAST) et de la NAOC. Conçu, développé, assemblé et testé par l'IRAP (PI Pierre-Yves Meslin, cheffes de projet King Wah Wong et Aurélie Moussi du CNES), il a été livré en Chine en août 2023, où sa responsabilité est passée entre les mains de l’IGG-CAS (Co-PI Prof. He Huaiyu, chef de projet Li Jiannan), qui a supervisé son intégration sur le lander et a réalisé les tests d’interface.
Ce projet a également été réalisé en collaboration avec le CEA (LNE-Laboratoire National Henri Becquerel), l’Observatoire Midi-Pyrénées (OMP), SUBATECH, le GIP d'Arronax et Albedo Technologies, avec des partenaires scientifiques de l’Université Christian-Albrechts de Kiel, de l’Institut de Physique du Globe de Paris, et du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG, CNRS-Université de Lorraine).