Publié le 13 septembre 2024 Mis à jour le 16 septembre 2024

L’analyse des vestiges d’un Néandertalien dans la Grotte Mandrin, dans la vallée du Rhône, donne à réécrire toute l’histoire de cette espèce du genre Homo. Longtemps considérées comme homogènes sur le plan génétique à travers toute l’Europe occidentale, les dernières populations néandertaliennes n’étaient finalement pas seules : il y a eu, au moins, deux lignées distinctes. L’étude, co-dirigée par Andaine Seguin-Orlando, enseignante-chercheuse en paléogénomique à l’université Toulouse III – Paul Sabatier et au Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT, CNRS/UT3), a été publiée le 11 septembre dans Cell Genomics.

La découverte d’un corps néandertalien est toujours un évènement très particulier dans la vie d’un archéologue. Si des ossements épars sont régulièrement mis en évidence, nous ne connaissons à ce jour pas plus d’une quarantaine de corps un tant soit peu complets. Le dernier découvert en France remonte à 1978, il y a plus de 46 ans.

L’étude présentée en couverture de Cell Genomics du 11 septembre fait état de cette découverte remarquable réalisée à la Grotte Mandrin, dans la commune de Malataverne, dans la vallée du Rhône, par l’équipe de Ludovic Slimak, chercheur CNRS au sein du CAGT. Découverts en 2015, il aura fallu près de 10 années d’analyse des vestiges de cet individu néandertalien pour ouvrir une nouvelle perspective éclairant l’histoire de cette espèce.

Les dernières populations néandertaliennes étaient en effet jusqu’alors considérées comme formant un groupe génétiquement très homogène à travers l’Europe occidentale. Les 31 dents, les ossements de la mandibule, du crâne et les phalanges découverts à la grotte Mandrin de cet individu – dénommé Thorin, en hommage à Bilbo le Hobbit de Tolkien – appartiennent en effet à une population profondément divergente des néandertaliens classiques reconnus dans les 10 derniers millénaires de ces populations en Europe. 
 
« Les analyses génétiques révèlent que Thorin et ses congénères ont ainsi passé plus de 50 millénaires sans aucun échange génétique avec les Néandertaliens classiques européens », précise Andaine Seguin-Orlando, « y compris vis-à-vis de populations localisées à seulement quelques centaines de kilomètres de la grotte Mandrin ». L’étude met alors en évidence de profondes structures d’isolations tant génétiques que culturelles au sein de ces populations néandertaliennes.

Pourtant, la vallée du Rhône est à l’époque un important couloir migratoire entre le nord de l’Europe et la Méditerranée. « Nous savions depuis longtemps que les populations néandertaliennes vivaient sur de tout petits territoires de quelques dizaines de kilomètres autour d’un site donné », complète Ludovic Slimak. « Les sapiens, eux, tissaient des réseaux sociaux s’étalant sur des territoires de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Ces deux populations ne s’organisaient pas au monde de la même façon ».

Parallèlement les données présentées dans Cell Genomics permettent de mettre en évidence des connexions très nettes avec un individu néandertalien découvert au XIXe siècle… sur le site de Forbe’s Quarry, à Gibraltar. Soit à quelques 1 700 kilomètres du lieu de la découverte de Thorin ! 

Ces connexions inattendues rebattent totalement les cartes sur les structures des populations néandertaliennes au moment même de leur extinction, démontrant l’existence en Europe de populations profondément divergentes et n’établissant aucun lien génétique et culturel directs entre-elles. Ces données sont issues de 34 années de recherches à la Grotte Mandrin et viennent profondément enrichir notre compréhension des interactions entre ces populations néandertaliennes tardives jusqu’alors inconnues et les premiers Homo sapiens reconnus en Europe.
 
Cette étude est le fruit de près de 10 années de travail et implique plusieurs laboratoires nationaux et internationaux, notamment le centre GeoGenetics de l'université de Copenhague
 
Référence
Long genetic and social isolation in Neanderthals before their extinction
Ludovic Slimak, Tharsika Vimala, Andaine Seguin-Orlando, Laure Metz, Clément Zanolli, Renaud Joannes-Boyau, Marine Frouin, Lee J. Arnold, Martina Demuro, Thibaut Devièse, Daniel Comeskey, Michael Buckley, Hubert Camus, Xavier Muth, Jason E. Lewis, Hervé  Bocherens, Pascale Yvorra, Christophe Tenailleau, Benjamin Duployer, Hélène Coqueugniot, Olivier Dutour, Thomas Higham, Martin Sikora
Cell Genomics, septembre 2024

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