Publié le 2 février 2024–Mis à jour le 29 février 2024
Plongée dans l'histoire des sciences avec Pascal Marchand, professeur de l'université en sciences de l’information à l’IUT et co-créateur de la série de bandes-dessinées "Épistémè". Aux côtés de Jean-Benoît Meybeck, l'illustrateur, ils nous entraînent dans un voyage humoristique à travers l'Antiquité grecque, explorant la vie des grands penseurs. Dans cette interview, Pascal Marchand revient sur les origines de cette aventure intellectuelle et son impact sur la diffusion de la culture scientifique depuis l'université.
En tant que professeur en sciences de l'information et de la communication, comment est-ce qu'on passe du cours magistral au scénario d'une bande-dessinée ? Comment on trouve le juste milieu entre l'exactitude historique et la vulgarisation ?
Au départ, il y a un cours magistral de culture scientifique et histoire des idées, que j'ai fait pendant 30 ans, et il y a également le confinement lié au Covid-19. Comment, en "distanciel", rendre ce cours magistral plus attractif ? J'ai donc cherché à intégrer des images. J'y ai pris goût et, apparemment, les étudiantes et étudiants aussi. J'ai eu envie d'aller plus loin. On se connaissait, avec JB Meybeck, qui venait de finir sa précédente série BD. Je lui ai donc proposé ce nouveau projet et on a passé beaucoup de temps à en définir les contours. Il ne fallait surtout pas que ça soit un cours illustré. On voulait une vraie BD avec tout ce que ça suppose de scénarisation, de décalage, d'humour. Mais on devait aussi apporter une connaissance valide. Les deux personnages, qui nous ressemblent un peu, l'un sans doute trop savant et l'autre sans doute trop naïf, servent de fil directeur et de médiateurs entre le lecteur et la "philosophie naturelle" et ses acteurs.
Au début du récit, les deux personnages narrateurs fuient des trolls. L'adage internet dit qu'il ne faut jamais les nourrir parce que c'est une perte de temps. Cette bande-dessinée, c'est une façon de répondre aux sceptiques de la science ?
Nous nous inscrivons clairement dans la promotion de la pensée rationnelle, la diffusion de la culture scientifique, le développement de l'esprit critique et la lutte contre la désinformation. Ceci dit, nous n'avons pas pour vocation de convertir des complotistes. Ni même de rehausser les niveaux catastrophiques de culture scientifique mesurés régulièrement par divers organismes nationaux ou internationaux. Et pas uniquement chez les "jeunes", d'ailleurs: très peu de nos décideurs ont une culture scientifique. Il s'agit "juste" de promouvoir un autre regard sur la science. Thalès, Pythagore, Euclide, Archimède... ce ne sont pas que des équations. Ce sont de vrais gens qui ont vécu de vraies vies, avec des anecdotes parfois drôles, parfois dramatiques. En plus, ils ne connaissaient pas les équations (les chiffres indo-arabes n'arriveront qu'au volume 2). Ils n'avaient que des ombres, des bâtons et des cailloux ("calculus"). Si on revient à ces bases, vivantes et concrètes (et cool !), c'est qu'on veut parier que des jeunes, et particulièrement des filles, pourront trouver ces approches plus satisfaisantes que les "faits alternatifs". La question qu'on veut poser est de savoir qu'est-ce qui est le plus important: chercher à comprendre ou vouloir avoir raison ?
Les thématiques de l'univers, de la géométrie et de la médecine sont abordées dans le premier tome de la série. Comment avez-vous choisi ces sujets spécifiques et quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs à travers ces explorations ?
Les sujets s'imposent d'eux-mêmes quand on les remet dans l'histoire. Les premiers philosophes de la nature s'intéressaient à tous les domaines, et faisaient des liens entre eux. Thalès cherchait autant à mesurer le grande pyramide qu'à expliquer l'origine et le principe fondamental de l'univers, et même à spéculer sur l'olive. Pythagore pensait que la Terre était ronde pour des raisons mystiques (c'était un gourou de secte). Aristote a enterré pour près de 2000 ans l'atome de Démocrite et Épicure parce que c'était incompatible avec sa propre théorie des quatre éléments. Archimède crie "Eurêka" parce qu'il a répondu à une question de fraude fiscale. Quant à la machine d'Anticythère, ce n'est pas une invention d'Indiana Jones. Tout ça est documenté mais n'est pas encore beaucoup diffusé. Donc, notre message est surtout pour celles et ceux qui pensent que la science c'est abstrait et que ça fait mal à la tête : non, la science, ça parle de NOUS, et ça peut faire du bien à la tête !
La série Épistémè est prévue en cinq volumes couvrant différentes époques. Vous avez déjà planifié les époques abordées dans les prochains tomes ?
Si le projet rencontre un public, chaque volume portera un nom qui renvoie à une époque, un territoire, une langue: Eurêka (Grèce antique dans un sens très large) sera donc suivi d'Azimut (période arabe et médiévale par la route de la soie jusqu'à la création des universités), Cogito (période latine du "Nouveau monde"), Révolution (politique, sociale, industrielle... et newtonienne) et Big Bang (les nouvelles théories de la formation de l'univers, de la matière, et de la pensée mathématique). Dans l'idéal, on aimerait bien publier un volume tous les deux ans.
Une anecdote marquante ou originale pendant la création de la bande-dessinée avec Jean-Benoît Meybeck à partager ?
Les rencontres dans les salons et festivals sont pleines d'anecdotes. Au dernier festival international de la BD d'Angoulême, on a eu la visite d'une ancienne étudiante qui m'a dit qu'elle avait apprécié ce cours, il y a plus de 10 ans, et que ça avait modifié sa vision de la science. C'était très émouvant. Et elle nous a pris trois BD pour elle et deux autres anciennes étudiantes de l'IUT !