Qu’est-ce qu’être « écologiste » ? A qui renvoie-t-on en employant ce terme ? Deux scientifiques de l’Université de Toulouse ont sondé la presse quotidienne nationale pour tenter d’y répondre. Leur rapport met en lumière des questions essentielles sur la représentation médiatique des écologistes, en particulier la visibilité des militants face à la prédominance des figures politiques.
Les chercheuses et chercheurs de l’Observatoire des pratiques socio-numériques, soutenu par l’Université de Toulouse et son Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (Lerass), ont collecté plus de 50 000 articles de presse quotidienne nationale contenant le terme « écologiste » et ses dérivés. Publiés entre le 1e janvier 2000 et le 31 décembre 2023 dans le Monde, le Figaro, Libération, la Croix, l’Humanité, les Echos et la Tribune, ces articles ont été analysés par le logiciel Iramuteq, développé par Pierre Ratinaud au sein du Lerass. Il permet de distinguer et de classer les différentes formes lexicales utilisées dans les textes. Cette méthode a montré son intérêt pour analyser finement les discours médiatiques et numériques, comme ce fut le cas pour la contestation de la réforme des retraites ou pendant les manifestations des agriculteurs l’an dernier.
Parmi ses observations, le rapport de recherche constate trois tendances :
Hors du champ politique institutionnel, les écologistes invisibilisés
Dans l’analyse du corpus d’articles, les auteurs ont dégagé 3 périodes distinctes, chacune avec leur propre dynamique selon les sujets dans lequel est employé le terme « écologiste ». La première s’étale de 2000 à 2009, la seconde de 2010 à 2017 et enfin la dernière de 2018 à 2023.
Au début des années 2000, les articles de presse évoquent les acteurs institutionnels, comme les agences nationales ou les ministères, mais aussi ceux issus de la société civile, comme les organisations non-gouvernementales (ONG). Seulement, la mention de ces derniers va progressivement disparaître avec le temps, pour laisser davantage d’espace aux ministères. Parallèlement, les sources citées dans les articles ont évolué : d’abord dominées par des figures culturelles, elles ont progressivement laissé place à des experts scientifiques avant que les acteurs politiques et économiques ne monopolisent l’espace médiatique.
Selon Jules Dilé-Toustou, co-auteur du rapport et maître de conférences en sciences de l’information et la communication à l’Université de Toulouse, l’implication progressive des écologistes dans un parti politique leur a permis d’investir de façon croissante l’agenda médiatique. Le parti a d’ailleurs abandonné son nom ‘Europe écologie – Les verts’ et monopolise désormais l’appellation ‘écologiste’ comme dénomination officielle depuis 2023. Aujourd’hui, lorsque ces journaux parlent d’écologistes, c’est avant tout pour désigner des représentants politiques.
Priorité à la politique nationale, les accords internationaux au second plan
Le rapport constate également une dynamique propre aux politiques environnementales nationales et internationales. Le protocole de Kyoto, proposé en 1995 et entré en vigueur en 2005, est le marqueur d’une première période « environnementaliste ». « Il apparaît dans les articles que les politiques publiques ont d’abord été focalisées dans les années 2000 sur un possible développement durable et d’une croissance économique équilibrée, prenant en compte les contraintes sociales et environnementales », détaille Catherine Quiroga Cortés, co-autrice et maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulouse.
Cette période correspond à l’avènement de l’appropriation du développement durable par la sphère politique. Elle concorde également avec des débats autour de l’énergie nucléaire, développés avec le projet d’EPR mais également avec la question sur le stockage de ses déchets.
Au fil du temps, le cadrage géographique des articles de presse se fera davantage à l’échelle européenne qu’internationale. Les années 2010 sont traversées par la formule de « transition énergétique ». Les réflexions politiques convergent progressivement autour des mix énergétiques à adopter au sein de l’Union européenne et des réglementations. Le terme « antinucléaire » disparaît progressivement, marquant la fin d’un clivage. Enfin, depuis 2022, la crise énergétique impose un discours d’urgence.
Nous observons une rhétorique d’effort de guerre, où l’impératif d’action prime sur la réflexion, estime l’enseignante-chercheuse.
Un traitement médiatique uniforme et neutre
Pendant 23 ans, les sept titres de presse ont eu tendance à objectiver les faits, ce qui a pour effet de gommer les clivages politiques dans leurs articles. Leur cadrage reste politiquement neutre et aucun phénomène de stigmatisation des mouvements écologistes contestataires n’est significativement observée au vu de la quantité d’articles traités.
Il y a une constante que nous avons remarquée parmi les sept journaux : l’information est traitée de façon épisodique, constatent les deux scientifiques de l’Université de Toulouse. Leur couverture suit le rythme des faits et des échéances politiques, comme les élections ou la réforme des retraites.
Dans leur conclusion, les scientifiques posent l’hypothèse d'une déconnexion entre la base militante et les responsables politiques médiatisés. Ils interrogent la domination des partis politiques dans la médiatisation de l'écologisme et l'espace laissé aux autres formes, appelant à un débat plus inclusif.
Le rapport complet « Des écologistes dans la presse – Rétrospective sur le traitement médiatique des écologistes à travers la presse quotidienne nationale de 2000 à 2023 » de l’OPSN est disponible en ligne.
Auteurs du rapport : Jules Dilé-Toustou et Catherine Quiroga Cortés.