Publié le 9 décembre 2024–Mis à jour le 8 janvier 2025
Le permafrost de la Sibérie centrale donne des signes de réchauffement significatif. Une étude internationale, dirigée par Laurent Orgogozo, maître de conférences à l’Université de Toulouse au sein du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET-OMP – CNES/CNRS/IRD/UT), a simulé les conséquences du réchauffement climatique sur le permafrost. Celui-ci subira un dégel significatif d’ici 2100 quel que soit le scénario de changement climatique considéré. Ces résultats ont été publiés dans l'édition de décembre de The Cryosphere.
Le permafrost (parfois aussi appelé pergélisol) est un sol gelé en profondeur tout au long de l’année, recouvrant un quart des terres de l’hémisphère nord. La présence de pergélisol affecte fortement les flux d’eau, la stabilité des sols et les conditions environnementales, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes et les activités humaines en régions froides. Les forêts boréales, par exemple, forment l’un des plus larges biomes sur Terre et 80 % d’entre elles sont installées sur du permafrost. En raison de la complexité des processus biophysiques, quantifier l'évolution du pergélisol nécessite des modèles à haute résolution.
C’est là qu’intervient permaFoam, un simulateur de permafrost, développé notamment par Laurent Orgogozo, avec ses collègues du GET et du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE - CEA/CNRS/UVSQ/IPSL). Installé sur le super-calculateur Joliot-Curie, le plus puissant en France, permaFoam permet de détailler les impacts du réchauffement climatique d’ici la fin du siècle, selon les différents scénarios du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC). En se plaçant à l’échelle locale jusqu’à quelques dizaines de km², et en utilisant le calcul intensif, permaFoam permet de simuler la dynamique du pergélisol selon une approche mécaniste, c’est-à-dire en utilisant uniquement les lois de la physique et leur description mathématique.
Il s’agit d’utiliser des méthodes de mécaniques des fluides numériques, des méthodes mécanistes largement utilisées dans l’industrie (automobile, aéronautique, etc), pour simuler les flux d’eau et de chaleur dans les sols. Le site de référence pour établir les simulations est le bassin versant de la Kulingdakan, près de la station scientifique de la Tura, au cœur d’une vaste région recouvert de taïga, en Sibérie centrale.
« Que l’on prenne le scénario le plus optimiste ou le plus pessimiste du GIEC, la température moyenne annuelle du sol va augmenter, que ce soit à 10 centimètres, 1 ou 5 mètres de profondeur », détaille Laurent Orgogozo. Dans les deux scénarios de changement climatique les plus intenses, elle pourrait même être positive à la surface du sol, sur le versant orienté sud de la Kulingdakan, d’ici la fin du siècle.
L’épaisseur de la couche active du permafrost, qui dégèle lors de chaque été, va, elle aussi, augmenter. « Cette couche, sensible aux variations saisonnières, correspond à l’épaisseur de sol qui dégèle en été. Or, à Tura, à l’horizon 2100 et dans le pire scénario climatique, elle sera telle que c’est comme si on la déplaçait aujourd’hui 350 kilomètres plus au sud », selon le maître de conférences en hydrogéologie.
Parmi les signaux alarmants, en l’état actuel du réchauffement, les simulations indiquent que le pergélisol ne sera pas à l’équilibre thermique en 2100. Autrement dit, il continuera son dégel au 22e siècle, même en cas d’arrêt total du réchauffement climatique en 2100.
L’étude souligne également des contrastes locaux importants. L’augmentation de la couche active sur les pentes sud pourrait être jusqu’à 70 % plus important que sur les pentes nord de la Kulingdakan.
Néanmoins, le dégel du permafrost ainsi modélisé de manière mécaniste à haute résolution est nettement moins important que celui indiqué par certains modèles climatiques, qui prédisent une disparition totale du permafrost en 2100, voire dès 2080.
Référence : Future permafrost degradation under climate change in a headwater catchment of central Siberia: quantitative assessment with a mechanistic modelling approach
Thibault Xavier, Laurent Orgogozo, Anatoly S. Prokushkin, Esteban Alonso-González, Simon Gascoin, Oleg S. Pokrovsky The Cryosphere, décembre 2024