Le Chili est l’un des pays les plus touchés par la pollution environnementale en Amérique du sud. C’est particulièrement le cas dans la province de Chacabuco, au nord de la capitale Santiago, où la population locale alerte sur la dégradation de la qualité de l’air. Dans cette région, une équipe du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET-OMP – CNES/CNRS/IRD/Université de Toulouse), en collaboration avec des chercheurs du laboratoire de Géographie de l’environnement (GEODE – CNRS/Université Toulouse - Jean Jaurès) a croisé la perception des habitants avec des analyses géochimiques réalisées sur le terrain pour évaluer la pollution atmosphérique. Leur étude, publiée le 4 mars dans Environmental Geochemistry and Health, recommande l’utilisation de certaines plantes comme indicateurs du niveau de pollution de l’air.
Selon un rapport de l’Organisme de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2024, les émissions des principaux polluants atmosphériques du Chili comptent parmi les plus élevées des pays-membres. Ainsi, 98,6 % de la population serait exposée à des risques sanitaires significatifs . La région de Chacabuco ne fait pas exception : elle abrite notamment une zone de sacrifice environnemental, c’est-à-dire un territoire où la qualité de vie et l’environnement ont été durablement dégradés par l’activité industrielle.
La prise de conscience s’accroît à Chacabuco où les habitants suspectent une contamination de l’air par des métaux toxiques, issus des activités minières et industrielles. Pour mieux comprendre cette pollution, Eva Schreck, maîtresse de conférences en biogéochimie à l’Université de Toulouse, principale autrice de l’étude, et ses collègues ont développé une approche combinant les connaissances des communautés locales et des analyses physico-chimiques réalisées sur le terrain.
Cette étude repose sur la perception du risque sanitaire par les habitants de la région et deux expériences successives de biosurveillance, utilisant une plante spécifique : Tillandsia bergeri. Cette espèce épiphyte, originaire d’Amérique latine, appartient à la famille des Broméliacées et pousse sur d’autres végétaux en absorbant ses nutriments directement dans l’air. Elle constitue ainsi un excellent indicateur de la qualité de l’atmosphère.
Légende - Tillandsia bergeri pour le biomonitoring de la qualité de l’air. Crédit : Eva Schreck.
Les résultats sont clairs : les témoignages des habitants et les cartes cognitives indiquaient une pollution atmosphérique perçue dans le nord et le centre de la province. En parallèle, l’analyse des aérosols collectés en différentes zones urbaines, agricoles et industrielles de la région, a révélé la présence de métaux et de métalloïdes dans l’air. Ces polluants, parmi lesquels figurent notamment l’arsenic, le cuivre, le chrome et le zinc, ont été retrouvés accumulés dans Tillandsia bergeri.
L’évaluation, via des mesures ponctuelles et localisées, des risques liés à l’inhalation de ces particules n’a pas mis en évidence de danger immédiat ni de risque accru de cancer pour les populations. Cependant, l’enrichissement des plantes en métaux et métalloïdes ainsi que les indices de pollution calculés montrent que trois des sites étudiés sont fortement impactés sur des temps d’enregistrement de plusieurs mois. Cela suggère dès lors un risque sanitaire potentiel lié à une exposition chronique des habitants, ainsi que des conséquences environnementales à long terme, souligne Eva Schreck.
Enfin, l’étude met en évidence une corrélation entre la perception sociale de la pollution qui correspondant au ressenti des habitants face à une dégradation de la qualité de l’air qu’ils respirent et leur sentiment de vivre dans une zone concentrant un grand nombre d’activités supposées polluantes et les résultats des analyses géochimiques des polluants métalliques dans l’atmosphère. Grâce à ce dialogue entre scientifiques et populations locales, cette recherche interdisciplinaire a permis d’obtenir des données précieuses sur la santé publique et les conditions de vie dans les zones de sacrifice environnemental.
Référence : An interdisciplinary approach for air quality assessment: biomonitoring using Tillandsia bergeri and risk perceptions in the environmentally sacrificed province of Chacabuco, Chile
Eva Schreck, Lucie Le Goff, Aude Calas, Zoë Louise Fleming, Carme Bosch, Aubin Yettou, Mireia Mesas, Xavier Martínez-Lladó, Arturo Vallejos-Romero, Frédérique Blot, Carine Baritaud & Anne Peltier Environmental geochemistry and health, mars 2025