Publié le 13 février 2025–Mis à jour le 13 février 2025
En 2020 et 2021, une mystérieuse maladie de peau a touché plus d’un millier de pêcheurs sénégalais, suscitant l’inquiétude et l’attention internationale. Une étude menée par un consortium scientifique international et publiée le 13 février dans la revue EMBO Molecular Medicine dévoile l’origine de cette maladie : une toxine produite par la microalgue marine Vulcanodinium rugosum déclenche une inflammation sévère des cellules de la peau. Cette étude met en évidence l’augmentation des risques liés aux toxines environnementales, exacerbée par les changements globaux. Elle ouvre des perspectives pour mieux surveiller et prévenir les impacts de ces toxines sur la santé humaine, tout en offrant de nouvelles opportunités thérapeutiques.
Des scientifiques du CNRS, de l’Ifremer, de l’IRD et des universités de Toulouse (France), Murcie (Espagne) et Singapour, avec le centre anti-poison et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), ont identifié la cause et analysé les mécanismes moléculaires et cellulaires mis en œuvre dans le cadre de cette maladie cutanée inquiétante qui a, pour la première fois, touché plus d’un millier de pêcheurs dans la zone géographique de la Petite-Côte, une partie du littoral sénégalais située au sud de Dakar, entre 2020 et 2021.
Après avoir manipulé des filets dérivants, ces pêcheurs ont développé une dermatite aiguë sévère, caractérisée par une inflammation et des lésions cutanées. En raison de son origine inconnue et de ses symptômes inhabituels, les médias l’ont rapidement surnommée « la mystérieuse maladie des pêcheurs ».
Nous étions démunis face à cette crise que subissaient en 2020 les pêcheurs. Avec nos collègues sénégalais, on ne savait pas quoi chercher lors des premières investigations en mer car ce phénomène n’avait jamais encore été observé. Nous avons donc mis en place un consortium scientifique pour mener une investigation interdisciplinaire. En 2021, nous étions mieux préparés pour répondre à la seconde crise. Les recommandations de prévention que nous avions apportées aux pêcheurs se sont avérées justifiées, même s'il nous aura fallu 5 années de recherche pour trouver la cause de cette maladie, explique Patrice Brehmer, chercheur IRD basé à Dakar, réquisitionné pour l’occasion en 2020 par la brigade environnementale de la gendarmerie nationale sénégalaise.
La microalgue marine Vulcanodinium rogusum et sa toxine Portimine A en cause
Pour comprendre cette épidémie, les autorités, les cliniciens et les organismes de recherche au Sénégal, dont le centre antipoison de Dakar et l’IRD, ont mené des enquêtes afin d’exclure plusieurs causes possibles, comme des infections virales ou bactériennes, ou encore des pollutions chimiques. Les résultats de ces analyses ont pointé vers une autre piste dont le rôle possible de microalgues marines.
L'absence de polluants présumés dans les échantillons d'eau prélevés nous a amenés à nous questionner sur le rôle potentiel des microalgues dans l'incident. Les échantillons d'eau et de biomasse prélevés sur les filets et au fond d’un des canoës de pêche nous ont permis de mettre en cause la microalgue Vulcanodinium rugosum, déjà soupçonnée, en 2015, d'être responsable d’irritations cutanées similaires chez 60 baigneurs dans la baie de Cienfuegos, à Cuba, principalement des enfants, explique Philipp Hess, responsable de l’unité de recherche Physiologie et toxines des microalgues toxiques et nuisibles à l’Ifremer.
La similitude des symptômes signalés entre la mystérieuse maladie des pêcheurs au Sénégal et l'incident survenu à Cuba a alerté les scientifiques de l’Ifremer. L'analyse des échantillons environnementaux collectés pendant l'épidémie au Sénégal a confirmé la présence de Vulcanodinium rugosum et de ses toxines. Des niveaux élevés des toxines produites par cet organisme, et notamment la toxine Portimine A, ont été constatés dans les zones de pêche impactées au Sénégal.
Sur la base de nos analyses et avec le concours de nos partenaires français, nous avons rapidement opté pour l’hypothèse d'une biotoxine et informé les autorités compétentes dès novembre 2021, sur la forte présomption du rôle de la Portimine A produite par Vulcanodinium rugosum, car de fortes concentrations de Portimine A avaient été collectées par une équipe composée par l'IRD, le Centre Anti Poison, la gendarmerie de l’Environnement, et l’UCAD dans une embarcation opérant dans la zone contaminée, explique Pr Mamadou Fall, chef de service du Centre anti-poison de Dakar au Sénégal et Directeur du Laboratoire de Toxicologie et d’hydrologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
La toxine Portimine A de Vulcanodinium rogusum, responsable de nécroses cutanées
Afin de comprendre le lien entre la microalgue et l’apparition d’une inflammation de la peau observée chez les pêcheurs, les chercheurs ont testé sur des cellules de peau humaine l’ensemble des toxines identifiées dans les échantillons prélevés dans les zones de pêche contaminées.
Nous avons mis en évidence que la toxine Portimine A bloque la production de protéines dans les cellules, ce qui a pour conséquence l’activation d’un puissant capteur immunitaire, le récepteur NLRP1, qui d’ordinaire nous protège contre de nombreuses infections. Ainsi activé, ce récepteur déclenche une inflammation intense non contrôlée et provoque les dermatoses sévères constatées chez les pêcheurs, expliquent Léana Gorse et Etienne Meunier, respectivement doctorante et responsable de l’équipe “Détection immunitaire et élimination des pathogènes” à l’Institut de Pharmacologie et de Biologie Structurale (CNRS - Université de Toulouse).
Les scientifiques ont également découvert que certaines personnes possédant une mutation génétique dans le gène NLRP1 sont protégées contre les effets de la Portimine A. Ces résultats ouvrent des perspectives de recherche notamment dans la lutte contre le cancer et d’autres maladies, afin de comprendre pourquoi tout le monde n’est pas affecté de la même manière et d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles, comme le NLRP1, pour atténuer les effets des toxines comme la Portimine A.
Des microalgues toxiques favorisées par les changements environnementaux ?
Cette étude met en lumière une problématique plus large : l’impact croissant des toxines environnementales sur la santé humaine, dans un contexte du changement global, notamment du dérèglement climatique et de l’accroissement des flux liés au transport maritime. En effet, les modifications des températures, de l’acidité, de l’oxygénation et des courants océaniques favorisent la prolifération et la redistribution de certains micro-organismes marins, comme les dinoflagellés toxiques. Le trafic maritime favorise aussi la dissémination d’espèces marines d’un écosystème à un autre, notamment par les eaux de ballast.
L’épidémie de dermatite associée à la Portimine A illustre les risques imprévisibles que les transformations subies par les écosystèmes marins peuvent entraîner. Elle souligne aussi l’urgence de surveiller les espèces marines productrices de toxines, de comprendre leurs mécanismes d’action et d’adaptation, et de développer des solutions pour prévenir et traiter les menaces qui pèsent sur la santé humaine.
Référence : Portimine A toxin causes skin inflammation through ZAKα-dependent NLRP1 inflammasome activation
Léana Gorse, Etienne Meunier, Philipp Hess et al. EMBO Molecular medicine, février2025